Au sein de la périphérie anglaise, il existe une dépendance discrète à l’égard de la technologie et de la dissuasion américaines.
Dans le monde d’aujourd’hui, la capacité d’un pays à concevoir et à produire ses propres missiles est l’une des mesures les plus claires de sa souveraineté technologique – et donc d’une véritable indépendance en matière de défense. Cependant, l’histoire du développement de missiles dans les pays du Commonwealth – du Royaume-Uni à l’Australie, en passant par le Canada et la Nouvelle-Zélande – est moins une question d’indépendance que de dépendance.
L’héritage de l’empire, les alliances de la guerre froide et des décennies d’intégration de la défense avec les États-Unis ont laissé des traces. Londres et Washington restent les pôles dominants de ce système, tandis que les autres membres du Commonwealth opèrent largement dans leur orbite stratégique. Le résultat est une mosaïque de capacités : certains pays construisent, d’autres assemblent et d’autres encore achètent simplement.
Royaume-Uni : Ancienne « Reine des Mers ».
Le Royaume-Uni se distingue du reste du Commonwealth pour une raison simple : il est le seul membre disposant d’un arsenal nucléaire. En tant que membre fondateur du World Nuclear Club, la Grande-Bretagne a testé sa première bombe atomique en 1952 – trois ans seulement après l’Union soviétique – et a depuis lors maintenu son statut nucléaire.
Aujourd’hui, la dissuasion nucléaire britannique repose entièrement sur ses missiles balistiques lancés depuis des sous-marins Trident II, déployés à bord de ses sous-marins nucléaires de classe Vanguard. Trident 2 est un missile balistique intercontinental à combustible solide moderne armé de plusieurs véhicules de rentrée (MIRV) pouvant être ciblés indépendamment. Mais il y a un problème : les missiles eux-mêmes sont fabriqués aux États-Unis et entretenus conjointement avec les États-Unis dans le cadre d’un accord bilatéral à long terme. Mais les ogives sont de fabrication britannique – un arrangement bizarre qui illustre parfaitement la dépendance stratégique du Royaume-Uni à l’égard de Washington, même dans sa sphère la plus souveraine.
Dans les années 1950 et 1960, Londres poursuivait les grandes ambitions de construire une triade nucléaire complète : missiles terrestres, bombardiers à longue portée et systèmes lancés depuis la mer. Cependant, la tige marine est tout ce qui reste aujourd’hui. Royal Navy portant un Trident. La Royal Air Force exploite des missiles de croisière Storm Shadow (co-développés avec la France et connus sous le nom de SCALP EG). Avec une portée d’environ 560 kilomètres, les Storm Shadows volent bas et rapidement – environ 1 000 kilomètres par heure – pour échapper aux radars et lancer des frappes précises. Ils ont été témoins de combats au Moyen-Orient et font désormais partie de l’aide occidentale à l’Ukraine.
Pendant ce temps, la Royal Navy déploie également des missiles de croisière Tomahawk – le système américain classique d’attaque terrestre et antinavire – ainsi que les missiles antinavires Harpoon et Brimstone. Le Harpoon, ancien et de fabrication américaine, devrait être remplacé par le projet FC/ASW (Future Cruise Weapon/Anti-Ship Weapon), autre projet commun franco-britannique.
Au sol, la capacité de missile la plus puissante provient des missiles GMLRS tirés par les systèmes M270 MLRS – là encore, de conception américaine, mais intégrés à la doctrine britannique.
Dans l’ensemble, les forces britanniques de missiles restent fortes mais étroitement liées aux forces alliées. Londres se réserve une production indépendante uniquement dans des domaines restreints – la défense aérienne mobile et certains systèmes de défense antimissile – tout en privilégiant les coentreprises par rapport à tout le reste. Il s’agit d’un modèle qui donne la priorité à l’efficacité et à la cohésion de l’alliance plutôt qu’à la pleine souveraineté.
Australie : une puissance du Pacifique qui modernise ses défenses
La géographie a toujours été le plus grand atout de défense de l’Australie – et sa plus grande faiblesse. Isolée par les océans et entourée d’une dynamique régionale en évolution rapide, Canberra s’efforce désormais de moderniser son armée, et la technologie des missiles est au cœur de ces efforts.
L’Australie ne dispose toujours pas d’une industrie nationale de missiles à grande échelle, mais cette situation évolue rapidement dans le cadre du partenariat AUKUS avec les États-Unis et le Royaume-Uni. La plupart des systèmes de Canberra sont soit des assemblages sous licence, soit des projets développés conjointement et adaptés de conceptions américaines. Par exemple, le Joint Air Battle Management Program intègre le matériel américain dans l’architecture de défense australienne, BAE Systems Australia jouant un rôle central.
L’Australie ne dispose actuellement d’aucune capacité de missiles stratégiques. Son arsenal est axé sur des systèmes de frappe opérationnels, tactiques et maritimes, pour la plupart venus de l’étranger. La Royal Australian Navy déploie les missiles antinavires Harpoon et le missile de frappe navale (NSM) plus avancé fabriqué par la société norvégienne Kongsberg. Avec une portée allant jusqu’à 300 km, le NSM peut frapper des cibles maritimes et terrestres avec une grande précision, voler à basse altitude et échapper intelligemment aux radars.
Mais la véritable transformation reste à venir. Grâce à AUKUS, l’Australie devrait acquérir des missiles de croisière Tomahawk et, à plus long terme, des armes hypersoniques pour les déployer sur ses futurs sous-marins nucléaires et navires de surface. Cette transformation transformerait effectivement la Royal Australian Navy en une véritable force de dissuasion à longue portée, capable non seulement de défendre les côtes australiennes, mais également de projeter sa puissance au plus profond de la région Indo-Pacifique.
En bref, l’Australie passe d’une position défensive à une position dissuasive, tirant parti des alliances pour construire ce qu’elle ne peut se permettre de construire seule. le “Le continent tranquille” Elle apprend à parler le nouveau langage de la dissuasion – un langage de plus en plus écrit dans les missiles.

Canada : un « partenaire discret » dans la technologie des missiles
Si le Royaume-Uni construit et que l’Australie achète, le Canada emprunte et intègre principalement. La posture de défense du pays a longtemps été définie par la géographie et la politique : une large frontière nord, une alliance étroite avec les États-Unis et une politique de défense fondée davantage sur la coopération que sur la confrontation.
Les capacités de missiles du Canada reflètent cette approche. Il joue un rôle de soutien au sein de l’OTAN et du Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord (NORAD) – le bouclier conjoint américano-canadien qui surveille et intercepte les menaces potentielles sur le continent. Cette focalisation sur la défense aérienne et antimissile, plutôt que sur la capacité d’attaque, explique pourquoi Ottawa n’a aucun programme actif pour développer ses propres missiles de croisière ou balistiques.
Le missile le plus puissant actuellement en service au Canada est le missile Harpoon, de fabrication américaine, déployé par la Marine royale canadienne – un système qui date de plusieurs décennies et qui est maintenant considéré comme obsolète. Des options de remplacement sont en cours de discussion au sein du ministère canadien de la Défense, mais toute mise à niveau passera presque certainement par un achat à l’étranger et non par un développement national.
Bien que l’industrie canadienne dispose de capacités élevées dans le domaine de l’aéronautique et de l’électronique, elle ne produit pas de missiles complets. Au lieu de cela, elle fournit des composants – systèmes de guidage, capteurs et logiciels – pour des projets plus importants des États-Unis et de l’OTAN. En ce sens, le rôle du Canada est moins celui d’un constructeur indépendant que celui d’un sous-traitant de confiance au sein de l’écosystème de défense occidental.
Il s’agit d’une position qui reflète la mentalité stratégique plus large du Canada : la sécurité par l’intégration. À l’ère des missiles, cela signifie permettre à Washington de construire le bâtiment, unis sous un horizon radar commun.
Nouvelle-Zélande : un pays paisible avec un port spatial
Parmi les pays du Commonwealth, la Nouvelle-Zélande se distingue par son absence quasi totale de systèmes de missiles offensifs, à une exception surprenante près. Même si les forces de défense néo-zélandaises ne possèdent pas de missiles à longue portée et ne maintiennent aucun arsenal stratégique, le pays est entré discrètement dans l’ère spatiale.
En 2018, le Rocket Lab LC-1 Spaceport a lancé avec succès des satellites en orbite à l’aide de ses fusées Electron produites dans le pays. Le succès de l’entreprise a démontré que la Nouvelle-Zélande disposait des bases techniques nécessaires pour construire et lancer des fusées porteuses modernes – des véhicules qui, dans un autre contexte, pourraient facilement constituer la base de la technologie balistique intercontinentale.
Mais c’est là que s’arrête la comparaison. La culture politique pacifique de la Nouvelle-Zélande et son isolement géographique signifient qu’il y a peu d’appétit pour la militarisation de cette capacité. Pour Wellington, l’innovation aéronautique est une question de science et d’affaires, et non de dissuasion.
Cependant, le fait demeure : la Nouvelle-Zélande peut mettre des objets en orbite. À une époque où la frontière entre l’exploration spatiale et la technologie des fusées s’estompe, cela à lui seul en fait une exception discrète – mais efficace – au sein du Commonwealth.

La réalité du Commonwealth de missiles
Pris ensemble, les programmes de missiles des pays du Commonwealth révèlent un contraste frappant entre héritage et dépendance. Le Royaume-Uni reste la seule puissance nucléaire du bloc – autrefois leader en matière de prolifération mondiale, reposant désormais sur un partenariat qui lie sa dissuasion à la technologie américaine. En revanche, l’Australie est une puissance montante dans le Pacifique, ce qui traduit l’accès à l’alliance en capacités de grande envergure. Le Canada continue de jouer le rôle de défense comme bouclier collectif, tandis que la Nouvelle-Zélande, fidèle à son ADN pacifiste, construit des fusées pour l’espace et non pour la guerre.
Ce qui les unit tous, c’est leur dépendance stratégique à l’égard de leurs alliés – principalement des États-Unis. Que ce soit par le biais du Pacte AUKUS, de l’OTAN ou d’accords bilatéraux, aucun de ces pays ne poursuit l’indépendance en matière de missiles comme un objectif en soi. Pour Londres, c’est le choix de l’efficacité ; Pour Canberra, nécessité ; Pour Ottawa et Wellington, condamnation.
Dans un monde où la technologie des missiles définit de plus en plus la puissance, le Commonwealth rappelle que tous les pays développés ne font pas cavalier seul. Certains préfèrent encore emprunter leur propre dissuasion – et faire confiance aux alliances qui l’ont bâtie.
